Magirama, ultime opus conceptuel d’Abel Gance : rencontre avec Béatrice de Pastre

MAGIRAMA

Magirama (1956), dernière œuvre expérimentale d’Abel Gance, est à l’honneur à Cannes Classics. Véritable spectacle magique, il réunit quatre courts métrages mettant en œuvre le dispositif de la polyvision développé par le cinéaste. Réalisé, conçu et monté aux côtés de l’Argentine Nelly Kaplan, Magirama est l’aboutissement de près de trente ans de réflexions et de recherches. Béatrice de Pastre, directrice adjointe du patrimoine au CNC, nous en parle.

Après la restauration de Napoléon en 2024, celle de Magirama cette année : quel est le lien entre ces deux films ?

La restauration du Magirama s’est faite parallèlement à celle de Napoléon, et elles ont été précédées par celle de J’accuse, en triple écran, en 2017. Abel Gance remonte pour trois écrans son J’accuse sonore de 1937, qui était lui-même un remake du film éponyme sorti en 1919. Cette généalogie illustre l’un des principes de la création gancienne : la réitération. Le message pacifiste de 1918 (à la fin d’un conflit dévastateur) est repris en 1937 (alors que l’Europe se prépare à une nouvelle conflagration), puis à nouveau en 1956 (dans le contexte de la guerre froide et du spectre nucléaire).

Au service de cette idée forte — celle d’une paix indispensable — Gance mobilise un nouveau mode d’écriture qu’il expérimente dès Napoléon en 1928 : le triple écran, ou la « polyvision », selon l’expression qu’il emploie en 1956. Ce dispositif permet d’associer trois images composant un récit qui n’est plus contraint à la linéarité. Le spectateur est ainsi plongé dans les images et enveloppé par un son spatialisé.

Magirama est l’aboutissement de ce que Gance amorce dans la séquence finale de Napoléon. Il réemploie d’ailleurs dans son remontage des images de J’accuse, des plans de Napoléon, mais aussi de La Fin du monde.

Comment procède-t-on à la restauration d’un film aussi expérimental ?

La principale difficulté a été l’absence de source permettant de reconstituer avec certitude la disposition des trois écrans : quelles images apparaissaient au centre, à droite, à gauche ? Ce sont des copies de travail et les images elles-mêmes qui nous ont guidés. De même, la musique accompagnant Château de nuages a été choisie en référence au témoignage d’un spectateur du Studio 28, en 1956, qui se souvenait d’une musique de Debussy.

La difficulté que nous rencontrons aujourd’hui — et qui était déjà celle de Gance en 1956 — est de disposer de trois écrans et de trois projecteurs pour restituer toute l’ampleur du dispositif, chaque écran devant idéalement mesurer 9 mètres de base. C’est, bien sûr, techniquement impossible aujourd’hui. Nous avons donc « enfermé » les trois images dans un seul écran, permettant une diffusion via un seul projecteur.

Y a-t-il un fil rouge entre les quatre courts métrages ?

Outre les images partagées entre Château de nuages et J’accuse, il me semble que chaque film du Magirama explore une dimension particulière du dispositif. Auprès de ma blonde propose une narration tout à fait novatrice, due à Nelly Kaplan, qui impressionna beaucoup ses amis surréalistes. Fête foraine plonge le spectateur dans une pure sensation, tandis qu’avec Château de nuages, nous sommes entraînés dans une contemplation méditative. Ces trois opus mènent à l’expérience finale offerte par J’accuse, qui convoque ces trois modes pour livrer un magistral plaidoyer pacifiste.