Romería, rencontre avec Carla Simón
Troisième long métrage pour la réalisatrice espagnole Carla Simón. Après Été 93 (2017) et Nos soleils (2022), tous deux tournés au cœur de la campagne catalane, la cinéaste embrasse cette fois ses racines galiciennes, en mêlant acteurs professionnels et non-professionnels. Ancré dans les années 2000, Romería (présenté en Compétition) fait écho à son histoire familiale. Rencontre.
Comment est née l’idée de ce projet ?
Je pense que Romería est né d’une frustration liée à mon histoire familiale. Mes parents sont morts quand j’étais très petite, tous les deux du SIDA. Ils étaient ruinés, à une époque — la fin des années 1980 — où c’était malheureusement fréquent en Espagne. Beaucoup de gens sont morts d’overdoses, du SIDA, ou à la suite d’accidents, dans une période très libre, mais aussi profondément marquée par la drogue. Cela a affecté énormément de familles.
Quand j’essaie de reconstituer l’histoire de mes parents, c’est toujours dans la douleur. J’ai beaucoup de mal à évoquer ce sujet. Le film est donc né, je crois, de cette frustration. C’est un film sur l’importance de la mémoire familiale : comment se construire ? Quand tu ne peux pas forger ton identité à travers les autres, tu peux l’inventer par la création. Le cinéma est là pour ça : créer des images qui n’existent pas.
« Ce film est une façon de créer ma propre histoire. Et de pouvoir raconter d’où je viens. »
N’est-il pas difficile, parfois, de se retourner sur son passé ?
À mes yeux, se tourner vers le passé relève plutôt de la réparation. Émotionnellement, certaines choses font mal, bien sûr, mais je pense qu’en s’en approchant, on grandit. Et cela permet, finalement, de faire la paix avec sa propre histoire.
Pour moi, l’aspect le plus important de Romería tient à la manière dont est racontée cette histoire, si douloureuse pour la famille qu’elle frôle parfois le secret, voire la honte. La protagoniste veut la comprendre, mais sans l’idéaliser.
Lors de la préparation, nous avons vraiment cherché à ajuster le ton, en nous posant cette question : comment peut-elle raconter cette histoire sans préjugés, sans dramatiser ? Réaliser des films qui font écho à ma vie personnelle me permet de me connecter très profondément à ce que je raconte, et cela se ressent à l’écran. Avec le temps, j’ai appris à aborder ces projets comme des fictions, en me mettant au service de l’histoire. Romería, dans les faits, est une œuvre très fictionnelle, à la marge de ma vie personnelle.
C’était important pour vous de tourner en Galice ?
Je suis catalane du côté de ma mère, mais mon père était galicien. Ce film m’a donné l’opportunité de tourner sur ses terres : là où il a grandi, là où mes parents ont vécu leur histoire d’amour. Les lieux qu’ils ont traversés sont encore là. Les gens passent, mais les espaces restent.
Nous avons tourné pour la première fois au bord de la mer, à Vigo, une ville industrielle qui possède un très beau centre historique. Chaque semaine, j’avais le sentiment que nous réalisions un film différent : Romería, c’est presque plusieurs films en un seul. Il y a eu une semaine en particulier, très intense, avec beaucoup de personnages. Ce fut notre plus grand défi, mais aussi le plus beau. Car de très belles choses surgissent quand il y a autant de présences à capter. Et j’aime capturer ces moments.